2018 sera-t-elle l’année de l’audace ?

L’économiste français Alain Lipietz avait publié en 1984 un essai intitulé « L’audace ou l’enlisement » chez l’éditeur parisien La découverte. Un livre qui a suscité un large débat à l’époque en France et dans lequel l’économiste critiquait l’attentisme du gouvernement français, son immobilisme et surtout sa peur de sortir des sentiers battus pour définir des réponses plus novatrices et des politiques économiques non conventionnelles. Dans cet essai, il a appelé le gouvernement de gauche de l’époque en France, à plus d’audace pour sortir de l’enlisement. Cet essai et l’analyse d’Alain Lipietz me rappellent la situation de notre économie aujourd'hui et les hésitations de l’action gouvernementale en matière de politique économique.

Que de temps perdu depuis deux ans dans la transition économique de notre pays vers un nouveau modèle de croissance ! La transition politique a certes enregistré des progrès importants avec l’instauration de l’Etat de droit, l’amélioration de la transparence et de la bonne gouvernance et du respect des libertés fondamentales. Ces transformations de l’espace public et du paysage politique ont permis à la Tunisie d’ouvrir une nouvelle ère dans son histoire moderne avec la fin de l’autoritarisme et l’émergence d’une nouvelle démocratie.

Mais, si notre pays a franchi des pas importants dans le domaine de la transition politique, la transition économique reste en panne. Et, les indicateurs ne manquent pas pour montrer ce blocage et la crise économique que nous traversons depuis quelques années. D’abord, la croissance économique, même si elle a connu une légère effervescence au cours de l’année écoulée, reste faible et incapable d’enclencher une dynamique nouvelle et porteuse d’espoir. Il faut également souligner la crise profonde que traversent les finances publiques depuis quelques années, et qui est devenue la préoccupation centrale de tous les gouvernements. Mais, cette dérive s’est poursuivie en dépit des engagements pris. Pour preuve, la loi de Finances complémentaire adoptée par l’Assemblée en fin d’année et qui a démontré une hausse des dépenses de près de 2 milliards de dinars. Cette dérive a été à l’origine du développement d’une stratégie basée sur le recours à la fiscalité pour accroître les recettes de l’Etat. Cette politique est au cœur d’importantes controverses et de critiques majeures de la part de larges fractions de la population, dans la mesure où elle a des effets négatifs sur le pouvoir d’achat et crée des difficultés supplémentaires pour les entreprises.

Il faut également mentionner les déséquilibres de la balance courante et la baisse du taux de change du dinar. On peut aussi souligner les retards accusés par les réformes économiques qui sont à l’origine de nos difficultés dans les négociations avec les institutions internationales et particulièrement le FMI.

L’ensemble de ces indicateurs sont significatifs, non seulement d’une détérioration de la situation économique, mais aussi d’une transition économique en panne. Une situation qui provient de l’attentisme qui a caractérisé les politiques économiques durant les deux dernières années et qui a conduit notre économie à l’enlisement.

Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de sortir de cet attentisme et de l’hésitation qui ont marqué notre politique économique et c’est l’audace qui doit prendre le pas pour échapper à l’enlisement et sortir du tunnel dans lequel s’est enfoncée notre économie. Et, l’audace doit s’exprimer à quatre niveaux. Le premier doit être visible dans la définition d’une vision et de choix de politique économique clairs et volontaristes. Cette dimension n’a pas toujours été présente et les choix de politique économique du gouvernement ont été marqués par une grande hésitation et un immobilisme certain. En effet, la politique économique du gouvernement a suivi une ligne de relance, notamment dans la politique budgétaire, alors que d’autres choix ont été marqués par une certaine orthodoxie et un certain conservatisme. Un exemple de ces hésitations concerne le manque de cohérence entre les choix de politique budgétaire et la politique monétaire. On peut également mentionner la décision du gouvernement de définir à la fin de l’été une vision économique. A cet effet un document a été finalisé et distribué aux signataires du pacte de Carthage pour recueillir leurs critiques et leurs avis. Mais, ce document n’a plus jamais vu le jour pour laisser le gouvernement naviguer à vue en matière de politique économique. 

Il est temps que le gouvernement mette fin à cette incertitude et à cette valse d’hésitations et définisse une vision économique claire qui sera notre gouvernail pour sortir de la crise économique que nous traversons. Cette politique ne peut être, de mon point de vue, qu’une politique de relance rationnelle où la dynamique de l’économie ne doit pas seulement provenir de l’effort public, mais doit également associer le secteur privé.

Le second niveau concerne la crise des finances publiques qui a atteint un niveau sans précédent et qui pourrait porter atteinte à nos grands équilibres financiers et à la capacité de l’Etat à respecter ses engagements. Le véritable problème concerne la poursuite de cette dérive au cours des dernières années, en dépit des engagements pris par les gouvernements. Cette dérive est à l’origine de l’adoption de lois de Finances complémentaires en fin d’exercice, devenues la règle dans notre pays, alors qu’elles sont une exception dans la plupart des autres pays. Il est urgent à ce niveau que le gouvernement affronte cette crise avec beaucoup d’audace à travers l’adoption de nouveaux choix, notamment à travers une lutte déterminée contre l’évasion fiscale, le renforcement du contrôle et du recouvrement et le recours de manière sérieuse à la cession de certaines participations de l’Etat dans les entreprises publiques.

Le troisième niveau de cette audace concerne le domaine de l’investissement qui constitue aujourd’hui le plus grand absent dans cette période de transition économique. Il est nécessaire aujourd’hui que le gouvernement s’attaque aux facteurs qui sont derrière l’attentisme des investisseurs nationaux et internationaux. Le gouvernement doit également initier un programme de grands travaux dans le domaine des infrastructures de base, qui pourrait relancer la croissance économique et améliorer la compétitivité de notre économie.

La dernière dose d’audace dans l’action publique concerne le domaine des réformes économiques qui devrait se concentrer sur l’exécution de ces réformes afin de donner à nos institutions la flexibilité nécessaire pour répondre aux besoins des acteurs économiques.

La panne de la transition économique et la crise économique que nous traversons exigent la sortie de l’action publique de l’attentisme et de l’hésitation qui dominent depuis plus de deux ans. L’action du gouvernement doit désormais s’inscrire dans une optique audacieuse et volontariste afin de sortir du marasme actuel, ouvrir de nouvelles perspectives à la transition économique et redonner espoir en notre capacité à répondre aux revendications de la Révolution autour de l’emploi, de la liberté et de la dignité nationale.